Il faudra posséder une boule de cristal bien plus fiable que le système d’opération Windows pour pouvoir prédire l’avenir de l’art sur Internet. Par contre, si on veut avoir une idée générale de quelques pistes qui lui sont ouvertes actuellement, on peut commencer par s’interroger sur ce que le réseau représente aux yeux de la première génération d’artistes d’avant-garde à y créer des œuvres. Un premier survol du champ fait ressortir trois archétypes, qu’il ne faut pas prendre pour des cas d’écoles différentes car il est fréquent qu’un seul et même artiste, voire une seule et même œuvre, intègre deux ou trois archétypes à la fois.

L’archétype le plus répandu est celui d’un nouvel avatar d’espace public : une espèce de zone franche virtuelle, où on peut créer, exposer et discuter de l’art plus librement que dans le cadre institutionnel traditionnel de l’art contemporain, et expérimenter de nouvelles formes de collaboration tant parmi les artistes eux-mêmes qu’entre ceux-ci et les membres du public. Cet archétype a l’avantage de convenir à une gamme très variée de démarches et d’œuvres, mais il constitue une aubaine particulière pour l’art conceptuel puisqu’il permet de mettre en ligne un nouveau genre d’installations interactives, « libérées » des contraintes de la matérialité par le format numérique et rendues « accessibles » à un public plus large par la publication sur le réseau. Il convient aussi, évidemment, à l’art multimédia puisqu’il facilite la création d’œuvres hybrides mélangeant l’art plastique, la photographie, le cinéma, la littérature, le théâtre et bien d’autres disciplines. Parmi les très nombreux projets qui exemplifient cet archétype, on peut citer des œuvres précurseurs par Antonio Muntadas (« The File Room »), Julia Scher (« Security Land »), Olia Lialina (« My Boyfriend Came Back From the War »), Mouchette (« Mouchette »), Shu Lea Cheang (« Brandon ») et Isabel Chang (« Highrise »); et des structures collectives comme « äda’web » et « rhizome.org. » On ne dénigre pas le potentiel radical cet archétype si on affirme qu’il est conforme au « grand récit » moderne de l’avant-garde, qui a toujours rêvé d’une pareille utopie de libre expression artistique.